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Le jour où je suis tombée amoureuse

J’avais rencontré Paul à un atelier théâtre. 

 

Nous étions tous les deux comédiens amateurs. Je l’avais repéré. Ce n’était pas encore la rencontre amoureuse, mais j’avais dit aux autres comédiennes : “Tiens, il ressemble exactement au type d’homme qui me plaît”. Mais sans plus. De toute manière, il était plus jeune que moi. 

Et lui aussi avait dit le même jour aux personnes du groupe, pas devant moi évidemment : “si un jour je me marie, j’épouserai une femme comme Luciane”.
C’était tout. On s’était vus, nos regards s’étaient croisés. Il y avait du plaisir à se côtoyer, même si on n’était pas amis. J’étais amie avec tous les autres, sauf avec lui ! 

 

Le jour de notre rencontre amoureuse, c’était un 2 juin, dans un jardin.
J’avais prévu d’aller lire dans un jardin. Entre-temps, j’avais eu Paul au téléphone qui m’avait proposé de me rejoindre. 

J’ai dit oui. Mais je n’avais pas d’attente, rien. Je n’imaginais pas une rencontre amoureuse. Je savais juste qu’il avait du temps libre, et moi, j’avais aussi du temps libre, car je n’avais pas encore commencé mon nouveau travail. 

Le cadre aidait, en fait : c’était le jardin du Palais Royal, un lieu absolument extraordinaire, très romantique, très beau, avec le soleil de l’été. Mais il n’y avait rien de provoqué là-dedans. 

 

Juste avant d’y aller, j’avais retrouvé un groupe d’amies qui m’avaient dit: “C’est un rencard, en fait!” Et je pense que là, ça a été le premier moment où mon regard a changé. Parce que je n’avais aucune attente. Je me suis dit “ok”. Intérieurement, je me disais qu’il était plus jeune, que c’était impossible, qu’il n’était même pas envisageable ou imaginable qu’il puisse me regarder d’un point de vue amoureux. Je pensais juste être une fille sympa à ses yeux. 

Quand je suis arrivée, il était là avec son livre, puisqu’on avait dit qu’on allait lire. Mais il y avait quelque chose de différent en moi. Comme si j’avais une vibration à l’intérieur. Comme si on m’avait donné la permission, comme si quelqu’un m’avait dit : “Tiens, ça peut être plus qu’un simple après-midi pour lire, ça peut être une rencontre amoureuse.” 

 

J’étais donc avec ce sentiment ambigu, ambivalent : “Je veux, je veux pas, c’est oui, c’est non, c’est possible, c’est pas possible.” Il y avait eu ce mouvement intérieur vers quelque chose d’amoureux. 

 

Et quand il m’a regardée... 

 

... qu’il a commencé à me poser des questions, je faisais des réponses monosyllabiques : “Oui, non, peut-être, je ne sais pas...” Et il m’a dit: “Tu n’aimes pas trop parler, hein?” J’ai dit: “Oui, je n’aime pas trop bavarder”. Et là, complètement naturellement, je lui propose de jouer. Moi, j’aime beaucoup jouer, lui aussi d’ailleurs. 

 

“Bon, on va passer une demi-heure en silence, sans parler.” 

 

Il a embarqué, alors que je ne m’y attendais pas. Et on a commencé à rire.
Et je pense que c’est là que quelque chose de mystérieux est arrivé. Pendant ce temps, qui n’a pas duré 30 minutes mais une heure et demie, ce silence, au lieu d’être un silence lourd et pesant où on aurait pu s’inquiéter – “Qu’est-ce qu’on va se dire ?”, ce silence est devenu, dans le jeu, un silence amoureux, un silence propice à l’intimité, propice aux échanges de regard. 

moi, je ne l’avais pas fait pour le draguer, je l’avais fait naturellement. 

On est allé à la boulangerie prendre un sandwich, toujours sans parler. En douce, j’ai écrit sur sa serviette en papier : “J’aime ton regard.” 

Et je l’ai remis autour de son sandwich. Il n’a pas vu. 

Nous sommes retournés au jardin, on s’est assis dans une roseraie, et on a commencé à manger nos sandwichs en silence, en se regardant. Et quand il a voulu s’essuyer la bouche, il a vu mon mot. Il a aussitôt écrit de l’autre côté : “J’aime ton sourire.” 

 

Je pense que pour lui, c’est à ce moment-là qu’il a senti qu’il avait la permission de me voir autrement. Et si pour lui, il s’est passé quelque chose quand il a vu mon mot sur la serviette en papier, pour moi, il s’est passé quelque chose quand il m’a touchée. J’ai senti un chavirement à l’intérieur de moi, j’étais dans quelque chose de l’état amoureux. C’était très fort. Mon cœur s’est mis à battre. 

On avait terminé nos sandwichs. On est allé s’asseoir sur un autre banc, et je lui ai proposé de mettre sa tête sur mes genoux. J’ai caressé sa tête un bon moment. Après, c’est moi qui ai posé ma tête sur ses genoux. 

 

On savait déjà qu’on n’était plus dans la même amitié. Quelque chose s’était passé chez moi, chez lui. Il a mis sa main sur mon épaule 

 

Je n’avais pas de rendez-vous après, mais ça devenait trop pour moi. Trop d’intimité. Je ne pouvais plus rester dans cette intimité avec lui, en silence, plus longtemps. Je lui ai alors dit que j’avais rendez-vous. On ne s’est rien dit de plus. On s’est fait la bise et je suis partie. Un peu comme Cendrillon, aux 12 coups de minuit ! 

On n’a pas commencé une relation amoureuse tout de suite. Même si j’étais déjà amoureuse et qu’il le savait, je voulais être sûre que c’était bien ça. 

 

J’avais la permission de tomber amoureuse, je n’avais pas encore la permission d’être dans une relation amoureuse. Je n’étais pas prête et je me suis respectée. 

 

À partir de ce moment-là, moi et lui, on n’était plus les mêmes.